La question de l’écriture juste est une question qui me taraude. Je me pose sans cesse la question suivante : comment arriver à un texte qui sonne juste.
Au moment de l’écriture, il y a un transfert qui se met en place d’un monde où l’on est à la fois à l’écoute de ses sensations et réceptif aux sensations des autres, à un monde où l’on écoute exclusivement ses propres sensations. Le monde habituel disparait et un nouveau monde se met en place. Cet autre monde est constitué de figures imaginées, fantasmatiques, de personnages reconstitués, de personnes disparues qui nous ont marqués.
Cet autre monde peuplé de personnages entre alors en résonance avec son propre état, sa propre humeur. Cette résonance engendre un état émotionnel, comme une suite d’accords harmoniques en musique, un état de joie, de transe, d’émotions vives que produit une musique. Douce, dissonante, tourmentée, coulante, effrontée. Il me semble que ce cheminement donne naissance à une musique, et que la vérité du texte est là. C’est à partir de là que l’écriture produit un texte qui sonne juste. Et je le vois dans le résultat de mon écriture. Je discerne l’écriture la plus juste de l’écriture plus distante en fonction de l'intensité de la résonance.
Si cette résonance, cette musique n’est pas là, cela s’entend. C’est d’ailleurs ce qui explique que beaucoup d’autobiographies sonnent juste puisque justement pour arriver à cet état, le chemin est direct. C’est aussi ce qui explique que quand un récit utilise trop d’effets de manches, le récit ne m’emporte pas.
Je crois que la justesse d’un propos est un thème qui me préoccupe particulièrement puisque je ne cesse de traquer ce qui sonne juste et ce qui sonne faux. Sachant que Mrs Dalloway de V. Woolf est un roman qui m’a beaucoup marquée, il y a finalement une certaine cohérence dans mon propos puisque ce livre raconte (entre autres…) ce décalage permanent qui existe entre nos actes et nos pensées.
Il est indispensable, il me semble, que l’écriture naisse de cette résonance. Pour autant, l’émotion ne doit pas tourner en rond dans un vase clos, ne doit pas être le résultat d’une rumination d’échecs, de blessures narcissiques ou d’obsessions. L’importance de l’air extérieur, de l’expérience à l’extérieur, des mouvements du corps qui se frotte à l’extérieur est ici primordiale pour ne pas sombrer dans un récit nombriliste. (Le risque à être enfermé avec son personnage, c’est aussi de l’étouffer, de le maintenir dans un univers clos où il tourne en rond et finit par lasser le lecteur.)
Prendre ce chemin pour atteindre cette résonance, pour produire cette musique, explique que l’écriture est un travail de longue haleine qui isole. Quand on est arrivé à cet état, on essaye d’y rester sans couper son souffle, le plus longtemps possible. Une coupure est en général longue et difficile à rattraper. L’humeur de chacun change, et si cette humeur change, alors il y a une coupure dans le texte. On voit parfois des textes qui à un moment donné changent complètement de ton sans raison valable. On voit également des textes où, quand on passe d’une personne qui s’exprime à une autre, le ton n’a pas changé, et on est gêné par cette nouvelle voix qui ne semble pas naturelle. La résonance, l’accord harmonique entre l’écrivain et cette voix n’a pas eu lieu. Il est parfois préférable de ne pas suivre le fil narratif que l’on souhaitait dérouler mais rester sur un personnage et revenir sur un autre à un autre moment. Une façon simple de rester dans cet état de résonance avec plusieurs personnages est d’effectuer un dédoublement, de choisir deux personnages qui ont chacun un côté de notre personnalité, d’exprimer ces deux caractères opposés qui nous composent dans nos tiraillements habituels (beaucoup d’écrivains pratiquent cette méthode). D’ailleurs l’attachement à un personnage est sûrement relié à cet état de résonance, de grâce, qui dure d’autant plus que l’on se sent proche de façon fantasmatique d’un personnage.
Parlons de la vraie musique, la musique composée, enregistrée ou jouée, celle que l’on écoute tous les jours, la musique chantée, la berceuse, celle qui nous émeut depuis la nuit des temps. Je n’écris JAMAIS avec de la musique de fond. Je me sers de la musique pour insuffler de la vie dans mon corps quand il est engourdi en jouant du piano. Je joue systématiquement du piano avant de dormir pour donner un grand coup de balai, passer la poussière dans mon esprit. C’est comme si un état émotionnel primitif se mettait en place. Comme si un nettoyage des émotions parasites issues des diverses contrariétés de la journée ou des différentes angoisses ou inquiétudes longues de plusieurs décennies s’éteignaient.
Mais je ne peux pas écrire dans le silence le plus total. J’ai besoin de mouvement, de vie. Soit des bruits d’oiseaux, soit un va et vient dans un café, soit des va et vient dans une rue peu passante. J’ai besoin de ne pas me sentir seule pour faire voyager mes personnages. Peut-être que le partage de mes émotions passe par ce partage. C’est comme si une part de l'émotion alentour me parvenait.
Voulant vérifier que les mots clés ‘mathématiques’, ‘littérature’ et ‘intelligence artificielle’ conduisaient chez moi, j’ai atterri chez vous!
RépondreSupprimerEt je ne le regrette pas!
Merci beaucoup pour le contenu de votre site.
Cet article me touche car c'est aussi une obsession chez moi, ce son juste.
En ce sens, la découverte de la lecture a été pour moi une souffrance car dès que je lisais, il me fallait relire et relire encore car je traquais la bonne formulation, votre 'son juste' en somme.
Qui m'assurera que je prononce cette phrase exactement comme l'a pensé celui qui l'a écrite...
A bientôt peut-être
Doctus Monkey
https://lejournaldedoctusmonkey.blogspot.com/
Bonjour,
RépondreSupprimerOui, c'est vrai que le son juste est une obsession chez moi également. Mrs Dalloway est le livre que j'ai le plus lu. Maintes et maintes fois. Il me semble que c'est celui qui sonne le plus "juste" à mon oreille.
Merci de votre visite.