Il y a ces livres, bien rangés. Dans le désordre, c’est encore mieux. Le nez se colle à la vitre, de belles lectures, des lectures d’enfance. Le nez toujours collé, on imagine une femme, belle, étendue sur un divan, le nez plongé dans un livre ; une de ces femmes que l’on a croisée, enfant, soit dans un hall d’hôtel soit dans un jardin. Allongée, à hauteur d'yeux, elle nous narguait ; elle avait l'air de parcourir le monde, pendant que nous cavalions à petits pas autour d'elle.
Le nez aplati contre la vitre, je regarde. Autour, des livres. Partout des livres. Au centre, il y a des habits. Le centre, c'est ce qui est important. Chaque livre dont le tranche ne couvre que vingt centimètres carrés est encore plus luxueux que vingt centimètres de papier peint. Dix centimètres de profondeur. Oui, ces livres ont la profondeur d'une vie. Un livre a parfois la profondeur d'une vie.
Pas toujours.
Souvent il distrait. Il distrait comme une robe à froufrous distrait le regard, une de ces robes que porte une femme au début du printemps. Elle a été emmitouflée tout l’hiver, elle veut sentir les regards se poser sur elle, homme ou femme. C’est encore mieux si la femme a de l’allure. Une robe à froufrous pas précieuse, une que l’on a trouvée dans un magasin par hasard, sans même la chercher, un jour de grand froid, en se disant que bientôt, bientôt les froufrous pourront cercler les ronds de jambes.
On peut en consommer des robes à froufrous en ayant toujours faim. Faim et encore faim, en ayant toujours l’impression de rester au bord d’une promesse. Comme un livre qui distrait.
C'est vrai qu'un livre peut distraire. Agréablement parfois. D’ailleurs, je me désole que le livre n’ait pas lui aussi droit à de belles robes de printemps. Pas une robe à froufrous, non, une belle robe de printemps, avec un tissu précieux, un tissu à fleurs, des senteurs. Un air à la fois gai et mélancolique. Une de ces robes qui laisse derrière elle une note de musique qui réveille une âme éteinte, une note qui s'allonge dans le bruit du soir. Une robe de soie, celle que l’on aime sentir glisser sur sa peau, qui glisse vite, trop vite. Ou la petite robe portefeuille blanche en lin dont les mailles larges capturent le soleil. Une robe à fleurs en coton : la robe des premiers émois. Un livre que l’on attendrait. Avec juste un tirage. Trois livres. Le noir-soir, le blanc-soleil, et le fleur-champ. Disponible pendant un mois, pas plus. Je rêve de livres éphémères qui raconteraient la brise marine, le souffle chaud de l’été, les larmes d'une figue fendue.
J’avais un fantasme dans ce quartier avant de croiser cette Librairie Robe : rester enfermée dans le jardin du Luxembourg. Que les grilles se ferment sur moi la nuit. Juste moi, les arbres, les oiseaux. Couchée sous un marronnier à côté de la Comtesse de Ségur, ou de Baudelaire, selon mon humeur du jour. Jusqu’au petit matin.
L’hiver approche. Au jardin du Luxembourg, les gardiens guettent partout, jusqu’au dernier promeneur. N’essayez pas. C'est impossible d’y rester enfermé.
Je n’ai en revanche pas encore essayé de rester dans ce magasin, la Librairie Robe. Peut-être est-ce plus accessible. Je serai d’une discrétion absolue, pas dérangeante. Je ne toucherai, ni ne frôlerai les mannequins, les sacs luxueux, aux étiquettes longues, de chiffres, de codes, ne m’intéressent pas. Je n’irai pas là où les antivols et dispositifs de sécurité sonnent. Je resterai sur un des divans, allongée avec un de ces livres. Je suis sûre qu’ils sentent bon le jardin. Une eau merveilleuse à la rose et au musc. Peut-être y a-t-il encore une odeur de pipe ou de cheminée. Voire de branche d’olivier qui brûle.
Avez-vous déjà essayé de faire brûler une branche d’olivier dans une cheminée ? Moi oui. La branche s’est enflammée, bleue, jaune, orange. Elle a traversé tout le spectre des couleurs en très peu de temps. Elle a jeté sur moi un parfum chaud de nuit d’été. De feuilles rougies par le soleil. De bois d’automne. D’eau parsemée de gouttelettes qui cascade entre les fougères.
Un condensé de sensations tel un bon livre.
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