« Quand on a vécu la mort, une vie qui ne serait pas à sa hauteur n’a pas d’intérêt. » Depuis ce point de naissance commun à beaucoup d’écrivains, on ne peut que constater que la vie d’un écrivain est longue comme un fil infini. Elle est d’une hauteur vertigineuse pour qui observe que le mensonge partout se cache. Elle est désir de transcendance, illumination. Elle vit au-delà du désir de vérité qui peut rendre fou dans un monde qui manque éperdument de sens.
Dans ce texte, Philippe Sollers nous raconte l’histoire littéraire qui l’a construit. C’est un grand lecteur qui a tissé des liens étroits avec ceux qui le portent depuis toujours. Muni de son bâton de pèlerin, il fait son voyage intérieur avec comme point de départ le philosophe Louis-Claude de Saint-Martin, dit le « Philosophe Inconnu », figure de l’Illuminisme européen appartenant à la confrérie des Francs-Maçons. Cette illumination spirituelle a été formulée par le Philosophe Inconnu de la façon suivante : « …le propre de l’être est d’être, numériquement, une continuelle multiplication spirituelle. Sa racine intérieure doit s’élever activement et constamment à sa puissance, et chaque acte de sa vie, de sa pensée et de son désir, doit être un nouveau bourgeon. ». Sollers fait son voyage intérieur en passant allègrement d’un ton ironique et mordant à un ton sérieux, voire grave. Légèreté et élévation sont autant d’armes efficaces pour glisser sur la palissade de la société du spectacle. Parfois, pointe une mélancolie vite rattrapée par les très belles rencontres qui jalonnent sa vie, les souvenirs marquants de son existence. J’ai appris qu’il avait des liens avec Jacqueline Risset (auteure de la très belle traduction de Dante chez Flammarion) et j'ai découvert cette page qui parle d’un livre de la collection infini « Les instants les éclairs » qui semble aussi parler de ces instants lumineux et fulgurances.
La révolution est un thème central. Révolution qu’avait prophétisée en son temps le Philosophe Inconnu. « Nous approchons d’un moment où le moule du temps doit être brisé pour tout l’univers, en attendant que le temps soit brisé lui-même, et c’est par la France que cette brisure commencera. » Avec ces glissements d’une période à l’autre Philippe Sollers nous fait prendre conscience que nous sommes à l’aube d’une révolution. L’argent roi est partout dénoncé dans ce texte-essai découpé en chapitres courts thématiques. La révolution, la raison, la transparence, « Le Spectacle se perfectionne chaque jour, et sa dernière invention générale a un nom : transparence. Dans l'ancien monde, vous attendiez des révélations, mais dans le nouveau, elles vous sont immédiatement transmises... Des millions de selfies tournent ainsi, comme des sauterelles autour de la planète… la courageuse Femen qui s’est dépoitraillée des centaines de fois devant les policiers médusés… Tout est transparent, sauf l'argent. ». Les thèmes d’actualité, notre monde contemporain, sont dépeints avec une plume enlevée et féroce, d’une ironie mordante. « Jusqu’à hier, l’histoire était écrite par les vainqueurs, sans qu’on se soucie vraiment de leur exagération grossières. Aujourd’hui, la falsification est plus subtile : ce sont les vaincus qui s’expriment, en cachant soigneusement ce qui peut expliquer leur défaite… Le Système a réussi ce prodige : les esclaves célèbrent leur propre asservissement, au nom d’une révolte impossible. Le bilan de cette faillite est clair : les esclaves ont échoué parce qu’ils ont toujours eu raison. Le disque peut continuer à tourner sur le même air. »
Cette lecture est aussi bien jubilatoire que profonde en particulier quand Sollers explore la mécanique du temps. Il y a de très beaux passages sur l’horloge interne qui nous gouverne et on pense à Dominique Rolin et à son extraordinaire sens du creusement de la seconde. Un plongeon du present dans le passé et vice versa qui s'inscrivent dans une fresque infinie. « Le Philosophe se pense issu d’une révélation lumineuse, qu’il appelle son « pays natal ». Il en garde un souvenir d’irradiation, et il est sûr de rejoindre un jour cette lumière. Il est donc né deux fois, mais sa première naissance, illuminée, précède la seconde, humaine. Sa mort n’est donc pas une mort, mais une réintégration en éclair. »
Pour résumer, voici un texte qui parcourt l’histoire contemporaine tout en rétropédalant dans l’histoire vers la révolution française. Les plus grands ne sont pas loin. Rimbaud et son poème Génie. Ils accompagnent un Philosophe fictif, qui peut être vu comme un prolongement du corps de l’écrivain Philippe Sollers, passager clandestin dans un monde sclérosé par la culture de masse, par la consommation de masse. Par tout ce qui anéantit le désir. Le désir court telle une flamme de coureur olympique qui s’élève d’une lecture à l’autre, d'une rencontre à l'autre. Le roman d’une vie ou la vie tout court est ici le cœur du sujet. Philippe Sollers nous donne quelques principes qui l’ont toujours accompagné. J’ai beaucoup ri, surtout quand il dépeint l’état des rapports entre hommes et femmes qui, cela ne vous a pas échappé, sont dans un état désastreux aujourd’hui. La perte de croyance, est également une de ses préoccupations. Et évidemment l’énorme cirque médiatique du monde des lettrés, de notre aristocratie littéraire burlesque et des conséquences néfastes sur notre alimentation intellectuelle. La langue morte portée aux nues par des publicitaires non consciencieux. Les mots morts. Les corps morts qui les ingurgitent et en crèvent. Une partie qui décrit une critique littéraire dont je pense avoir reconnu la plume édifiante m’a particulièrement fait rire quand il cite « de longues plages de silence où les mots crissent entre les pages ». Il y a beaucoup de constations sur l’état de notre société qui sont alarmantes, que l’on voit tous les jours. Mais peu la dénoncent et préfèrent se remplir les poches et vider la substance des pauvres âmes errantes.
L'auteur ne s’embarrasse pas de périphrases. C’est une lecture jubilatoire à ne pas lire sur une terrasse. Cela en devient embarrassant tant certains passages sont d’un humour décoiffant. Cachez-vous et lisez-le. Riez ouvertement jusqu’à ce que les murs en tremblent. Les murs que vous dressez tous les jours, imperméables à tout ce cirque, quoiqu’on en dise, se souviennent de tout.
Dans ce texte, Philippe Sollers nous raconte l’histoire littéraire qui l’a construit. C’est un grand lecteur qui a tissé des liens étroits avec ceux qui le portent depuis toujours. Muni de son bâton de pèlerin, il fait son voyage intérieur avec comme point de départ le philosophe Louis-Claude de Saint-Martin, dit le « Philosophe Inconnu », figure de l’Illuminisme européen appartenant à la confrérie des Francs-Maçons. Cette illumination spirituelle a été formulée par le Philosophe Inconnu de la façon suivante : « …le propre de l’être est d’être, numériquement, une continuelle multiplication spirituelle. Sa racine intérieure doit s’élever activement et constamment à sa puissance, et chaque acte de sa vie, de sa pensée et de son désir, doit être un nouveau bourgeon. ». Sollers fait son voyage intérieur en passant allègrement d’un ton ironique et mordant à un ton sérieux, voire grave. Légèreté et élévation sont autant d’armes efficaces pour glisser sur la palissade de la société du spectacle. Parfois, pointe une mélancolie vite rattrapée par les très belles rencontres qui jalonnent sa vie, les souvenirs marquants de son existence. J’ai appris qu’il avait des liens avec Jacqueline Risset (auteure de la très belle traduction de Dante chez Flammarion) et j'ai découvert cette page qui parle d’un livre de la collection infini « Les instants les éclairs » qui semble aussi parler de ces instants lumineux et fulgurances.
La révolution est un thème central. Révolution qu’avait prophétisée en son temps le Philosophe Inconnu. « Nous approchons d’un moment où le moule du temps doit être brisé pour tout l’univers, en attendant que le temps soit brisé lui-même, et c’est par la France que cette brisure commencera. » Avec ces glissements d’une période à l’autre Philippe Sollers nous fait prendre conscience que nous sommes à l’aube d’une révolution. L’argent roi est partout dénoncé dans ce texte-essai découpé en chapitres courts thématiques. La révolution, la raison, la transparence, « Le Spectacle se perfectionne chaque jour, et sa dernière invention générale a un nom : transparence. Dans l'ancien monde, vous attendiez des révélations, mais dans le nouveau, elles vous sont immédiatement transmises... Des millions de selfies tournent ainsi, comme des sauterelles autour de la planète… la courageuse Femen qui s’est dépoitraillée des centaines de fois devant les policiers médusés… Tout est transparent, sauf l'argent. ». Les thèmes d’actualité, notre monde contemporain, sont dépeints avec une plume enlevée et féroce, d’une ironie mordante. « Jusqu’à hier, l’histoire était écrite par les vainqueurs, sans qu’on se soucie vraiment de leur exagération grossières. Aujourd’hui, la falsification est plus subtile : ce sont les vaincus qui s’expriment, en cachant soigneusement ce qui peut expliquer leur défaite… Le Système a réussi ce prodige : les esclaves célèbrent leur propre asservissement, au nom d’une révolte impossible. Le bilan de cette faillite est clair : les esclaves ont échoué parce qu’ils ont toujours eu raison. Le disque peut continuer à tourner sur le même air. »
Cette lecture est aussi bien jubilatoire que profonde en particulier quand Sollers explore la mécanique du temps. Il y a de très beaux passages sur l’horloge interne qui nous gouverne et on pense à Dominique Rolin et à son extraordinaire sens du creusement de la seconde. Un plongeon du present dans le passé et vice versa qui s'inscrivent dans une fresque infinie. « Le Philosophe se pense issu d’une révélation lumineuse, qu’il appelle son « pays natal ». Il en garde un souvenir d’irradiation, et il est sûr de rejoindre un jour cette lumière. Il est donc né deux fois, mais sa première naissance, illuminée, précède la seconde, humaine. Sa mort n’est donc pas une mort, mais une réintégration en éclair. »
Pour résumer, voici un texte qui parcourt l’histoire contemporaine tout en rétropédalant dans l’histoire vers la révolution française. Les plus grands ne sont pas loin. Rimbaud et son poème Génie. Ils accompagnent un Philosophe fictif, qui peut être vu comme un prolongement du corps de l’écrivain Philippe Sollers, passager clandestin dans un monde sclérosé par la culture de masse, par la consommation de masse. Par tout ce qui anéantit le désir. Le désir court telle une flamme de coureur olympique qui s’élève d’une lecture à l’autre, d'une rencontre à l'autre. Le roman d’une vie ou la vie tout court est ici le cœur du sujet. Philippe Sollers nous donne quelques principes qui l’ont toujours accompagné. J’ai beaucoup ri, surtout quand il dépeint l’état des rapports entre hommes et femmes qui, cela ne vous a pas échappé, sont dans un état désastreux aujourd’hui. La perte de croyance, est également une de ses préoccupations. Et évidemment l’énorme cirque médiatique du monde des lettrés, de notre aristocratie littéraire burlesque et des conséquences néfastes sur notre alimentation intellectuelle. La langue morte portée aux nues par des publicitaires non consciencieux. Les mots morts. Les corps morts qui les ingurgitent et en crèvent. Une partie qui décrit une critique littéraire dont je pense avoir reconnu la plume édifiante m’a particulièrement fait rire quand il cite « de longues plages de silence où les mots crissent entre les pages ». Il y a beaucoup de constations sur l’état de notre société qui sont alarmantes, que l’on voit tous les jours. Mais peu la dénoncent et préfèrent se remplir les poches et vider la substance des pauvres âmes errantes.
L'auteur ne s’embarrasse pas de périphrases. C’est une lecture jubilatoire à ne pas lire sur une terrasse. Cela en devient embarrassant tant certains passages sont d’un humour décoiffant. Cachez-vous et lisez-le. Riez ouvertement jusqu’à ce que les murs en tremblent. Les murs que vous dressez tous les jours, imperméables à tout ce cirque, quoiqu’on en dise, se souviennent de tout.
Désir ; Philippe Sollers ; Editions Gallimard ; mars 2020.
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
RépondreSupprimer