Un jardin est le plus beau des cadeaux que peut nous laisser un être cher, le plus vivant, la plus belle des consolations. Et puis il y a la musique, les oiseaux, l’eau qui s’écoule, le vent qui soulève les pèlerines. L’instant, le présent. Cette onde musicale qui parcourt les siècles, les années. En une seconde, elle submerge une oreille attentive. Seul le révérend Cheney a transcrit ces sons sous forme de partition, note par note. Le révérend Cheney est immortel. Heureusement que Pascal Quignard l’a sauvé de l’oubli.
Ce livre se présente sous la forme d’une pièce de théâtre aux scènes épurées. D’abord une image. Il y a deux scènes séparées par une diagonale : un lieu, jardin et un salon avec un vieux piano et un homme voûté qui déchiffre des lambeaux de partition.
La femme du révérend Cheney est morte, juste après avoir accouché d’une fille, Rosemund.
« près de la rame noire
Les cendres dispersées dans le souffle du soir peu à peu se sont humectées,
lentement, lentement, au contact de l’eau,
puis englouties.
Elles se sont progressivement effacées à l’intérieur de l’eau où les petites ablettes et les petits goujons ont ouvert leurs lèvres.
Ils ont des lèvres curieusement bourrelées et blanches, les poissons » p24
Il est heureux dans le jardin qu’elle a aimé.
« Même, je suis vraiment heureux dans le jardin qu’elle aimait car, quand je suis dans son jardin, je suis comme contenu en elle,
je suis à l’intérieur d’elle
vivante
vivant. » (p26)
Elle était si belle.
« Longtemps après, sa bouche merveilleuse laissait s’échapper la fumée pâle,
lentement sans souffler,
elle longeait tout d’abord ses lèvres entrouvertes.
Les spirales grises et jaunes s’enroulaient autour de sa joue toute ronde,
contournaient son oreille lentement,
le lobe, puis le pavillon,
se glissaient dans le macarons châtains et roux et noirs de ses cheveux
et elle s’y immobilisaient exactement comme la brume dans les épines des buissons qui longent la rive et l’embrassent » (p27)
Vingt-huit ans se sont écoulés depuis la naissance de Rosemund. Elle apparait plus vivante que toutes les fleurs du jardin. Elle lui rappelle sa femme. Elle énumère l’unique pèlerinage consenti dans une vie : « Le musc, l’ambre gris, le clou de girofle, la rose de Damas, le bois de santal. » Le pauvre homme en a assez entendu et la somme de partir.
Il la libère du jardin labyrinthe et reste seul avec son souvenir. Elle part en emportant un petit oiseau blessé dans une cage. Elle part enseigner la musique. Elle est désormais plus vieille que sa mère morte. Il est heureux seul avec son jardin. « Car c’est un visage, un jardin…C’est un merveilleux visage invieillissable » (p47)
Et il transcrit les sons, tout ce qui l’enchantait, et il entend tout ce que l’humanité a ressenti depuis des millénaires. « Il est possible que l’audition humaine perçoive des airs derrière la succession de sons de la même façon que l’âme humaine perçoit des narrations au fond des rêves les plus chaotiques » (p63)
Commence alors un face à face avec ses souvenirs, le repentir. Pourquoi a-t-il sacrifié sa femme pour sauver sa fille ? Sa femme qu’il aimait plus que sa fille. Sa fille partie, il n’a plus de liens avec les êtres, il vit avec ses émotions. Il vit avec sa femme. Elle apparaît et elle lui dit :
« Ne pas t’avoir toujours dans mes pattes, tu vois, voilà,
Voilà ce qui me poussait à sortir.
Oui j’allais au jardin » (p91)
Il sombre. Puis, Rosemund réapparaît. Seule. Elle n’entend plus le piano. Tous les autres sons, oui, mais pas le piano. Pas la voix de son père.
Le livre de partition du révérend est refusé sept fois. Personne ne le comprend.
« C’est le vent, ce sont les oiseaux, ce sont les roseaux, ce sont les gouttes de l’averse sur les arbres que l’on refuse » (p119)
A sa mort, sa fille fait publier ses partitions.
J’avoue avoir lu en diagonale les pages les plus sombres de la fin du livre (Pascal Quignard écrit tellement bien qu'il vous entraîne immanquablement…) mais j’ai été touchée par le travail de transcription en partition de musique du chant des oiseaux, du vent, de l'eau qui goutte ; et j’ai été séduite par l’écriture poétique, élégante et concise de Pascal Quignard.
Il sombre. Puis, Rosemund réapparaît. Seule. Elle n’entend plus le piano. Tous les autres sons, oui, mais pas le piano. Pas la voix de son père.
Le livre de partition du révérend est refusé sept fois. Personne ne le comprend.
« C’est le vent, ce sont les oiseaux, ce sont les roseaux, ce sont les gouttes de l’averse sur les arbres que l’on refuse » (p119)
A sa mort, sa fille fait publier ses partitions.
J’avoue avoir lu en diagonale les pages les plus sombres de la fin du livre (Pascal Quignard écrit tellement bien qu'il vous entraîne immanquablement…) mais j’ai été touchée par le travail de transcription en partition de musique du chant des oiseaux, du vent, de l'eau qui goutte ; et j’ai été séduite par l’écriture poétique, élégante et concise de Pascal Quignard.
Dans ce jardin qu'on aimait, Pascal Quignard, Editions Grasset, 2017.
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